TRAHISON

Publié le par eva-marie.over-blog.com

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Texte inspiré du tableau ci-dessus

Trahison

Il existe une maison tapie au fonds de ma mémoire, une chambre enfouie dans les replis de mon âme. Et une enfant qui vit en moi et ne veut pas mourir avant de s'être vengée.

Et bien, c'est chose faite ! Et celle qui me regarde dans le miroir et me sourit aujourd’hui, est neuve, rendue à elle-même, enfin purifiée. 

Quoique !

C'est une belle contrée que celle où je suis née, toute en vallons et verdure, une région faite pour que les enfants y vivent et y grandissent en toute innocence. Une douce région où a été bâtie, il y a des siècles de cela, une grande demeure. Celle de la famille Bettalaine.

Ma famille.

Cette maison, où j’ai passé mon enfance et une partie de ma jeunesse est une grande bâtisse cossue, sur laquelle les éléments semblent n’avoir aucune prise. De nombreuses générations y ont vécu, j’en suis et en serai la dernière.

On pourrait la croire édifiée forte et fière dans un seul but, celui de protéger ceux qui y vivent. Qu’ils y soient à tout jamais à l’abri des éléments, des monstres en tout genre et des guerres.

Illusion !

La maison tout entière a fermé les yeux et elle va le payer.

Si j’y reviens en cette douce journée de septembre, après l'avoir quittée trente ans plus tôt, c’est  uniquement parce que depuis peu, elle m’appartient ! J’en suis la seule et unique  propriétaire à présent, les derniers papiers que viens de signer chez le notaire l’attestent.

Elle est à moi et je jubile ; elle est à moi et je hurle et pleure. Je la hais de toute mon âme.

Ce que j’exècre par-dessus-tout dans cette maison, c'est la chambre ! J’y ai dormi chaque nuit et j'y ai rêvé d'évasion, j’y ai imaginé ce que serait ma vie dans une famille « normale ».

Une famille qui m'aurait aimée, tout simplement.

Cette chambre se trouve au dernier étage, sous les combles ; elle est étouffante en été, glaciale en hiver. Ma mère m’a toujours dit, alors qu’elle évoquait ma naissance d’un air dégoûté :

 « Toi, de toute façon, tu es une enfant Ogino.

Dans mon esprit d’enfant, son ressentiment à mon égard était forcément lié à cette curieuse origine ; sans doute m’avaient-ils adoptée, moi, une petite étrangère arrivant d'une île lointaine du Pacifique appelée... Ogino… Mais je n’ai trouvé d’île de ce nom dans aucun des atlas que j’ai consultés.

C'est drôle, vous ne trouvez pas ?

Elle voulait juste que je comprenne bien que mon exil dans cette chambre était totalement justifié et que ce qui s'y passait, entièrement mérité.

Car elle savait ! Ne nous y trompons pas.

 

 

 

 

8 Mai 1970

 

J'étais dans la chambre, bien évidemment, quand il y est entré ce soir-là. J'avais entendu et reconnu son pas lent et pesant dans les escaliers, pour commencer, puis dans le couloir ensuite, ainsi que cet espèce de raclement de gorge que je trouvais si répugnant.

Ces derniers temps, il venait un peu moins souvent, je me souviens m’en être réjouie… Un peu trop vite. Au cours du repas, ce soir-là, son regard avait glissé sur moi à plusieurs reprises et avait brillé de cet éclat malsain que je ne connaissais que trop bien et là, j’ai su qu'il viendrait.

Autre signe annonciateur ; il avait bu plus que de coutume.

Et dans cette pièce proprette, impeccablement rangée, dans laquelle on m'avait autorisée à mettre quelques aquarelles pour l'égayer, dans ce qui aurait dû être MA chambre, MON refuge, le monstre allait entrer une fois de plus et commettre l’innommable.

Mais ce soir-là, j’avais décidé qu’il ne me toucherait plus.

Il est entré en grognant comme le porc qu'il était, s'est approché de moi, a avancé la main vers moi. Et j'ai, de sous les draps sagement tirés sur moi, sorti le tisonnier dont personne n'avait remarqué l'absence et j'ai frappé, frappé, frappé...

 

Septembre 2000

 

J’introduis la clé dans la serrure de la lourde porte d'entrée qui, à mon grand étonnement, s'ouvre sans difficultés. Je monte rapidement les marches qui mènent à la chambre, j’y pénètre. Tout est pareil.... et différent.

Je LA regarde, une dernière fois ; je suis calme, très calme même, mais déterminée.

Un geste, un simple geste et je referme tout doucement la porte, redescends les escaliers, sors et ferme soigneusement derrière moi.

Quelques minutes plus tard, les premières flammes apparaissent.

Je monte dans ma voiture, enclenche une vitesse ; dans le rétroviseur je vois la maison brûler, elle hurle sa douleur. La chambre, quant à elle, subit également son châtiment.

Je respire un grand coup, sourit, accélère et récupère la grand-route.

Je rentre chez moi. 

 

 

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M
<br /> J'ai lu "petite fille", j'ai lu "lettres à ma mère" et je viens de lire "trahison". Ces trois textes que j'ai choisis sciemment sont sans doute intimement liés .<br /> <br /> <br /> C'est plein de sensibilité et extrêmement touchant. . Ces trois textes m'ont énormément touchée. Je prendrai le temps de les relire.  Bravo !<br />
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E
Merci Monica
M
Je viens de relire, presque 4 ans après ma dernière lecture et toujours avec la même émotion. Bravo ! simplement bravo ma talentueuse amie écrivain. Bisous