DANGEREUSE LECTURE

Publié le par eva-marie.over-blog.com

 

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Dangereuse lecture

Beau début de journée.

Nous sommes le lundi quatre septembre  et c’est pour quelques jours encore, l’été sur le calendrier. Il y a néanmoins dans l’air une légère aura automnale, juste de quoi faire frémir les cœurs sensibles et réceptifs au moindre changement.

Une main qui se tend pour éteindre le réveil, un dernier bâillement avant de prendre conscience qu’une nouvelle journée va commencer et enfin, un pied prudent qui se pose sur la descente de lit.

Laura descend et se rend dans la cuisine d'un pas quelque peu mal assuré ; elle sent dans son corps d'imperceptibles troubles, un rien de faiblesse, un léger manque d'équilibre, un ensemble de petites sensations désagréables qu'elle attribue immédiatement aux excès du week-end !

Bon, c'est vrai que deux soirées consécutives, entre amis, à boire, fumer et papoter jusqu'à point d'heures, ce n'est plus de son âge... surtout quand il faut se lever de bonne heure pour aller travailler.

Pfft, à quel âge, c'est plus l'âge, d'abord ?

Sirop, son chat bien-aimé, la suit dans les escaliers, pressé de se faire servir sa première tournée de  croquettes de la journée. Et le bol d’eau indispensable avec ce type d’aliments.

« Bonjour mon mignon, » lui dit-elle, le laissant la frôler de sa douce fourrure gris cendré.

Dans la cuisine claire et dorée par le soleil du petit matin, tout est en ordre ; chaque chose à sa place et une place pour chaque chose, comme le lui a répété son père, toute son enfance.

Tout ce qui compte en matière d’électroménager dernier cri est installé aux quatre coins de la cuisine, tout est fonctionnel et comme le disent ses amis « nickel chrome », et dans tous les sens du terme.

Laura aime cette pièce, c’est sa préférée. Elle en a choisi chaque détail et l'a peinte elle-même dans les tons ensoleillés qu'elle aspire à retrouver où qu'elle vive. Les murs sont d’un jaune lumineux avec quelques touches légèrement plus soutenues par endroits. Ici ou là, un zeste de bleu et sa Provence natale devient presque palpable.

Dur, dur le réveil aujourd’hui ! Un café bien fort  s'impose.

Zut ! Un peu de nausée lui vient à cette idée, pas bon signe ça ! Elle qui ne jure que par plusieurs doses de caféine quotidiennes, s’en inquiète immédiatement.

Avaler un petit quelque chose aussi devrait l’aider à se sentir mieux, et puis ensuite, une longue douche chaude !

Les doses de café, les voilà. Ah,  ne pas oublier de remplir le bac d'eau ! Appuyer sur le bouton de la machine, se griller un toast, sortir un mug, un peu de beurre, une touche de miel. Même pas besoin de cuillère pour remuer le café, puisqu'elle ne sucre jamais, à moins qu’il ne soit infect. C’est le cas parfois, dans certains établissements. A se demander où ils se le procurent.

Ces quelques gestes routiniers la réconfortent. Elle se sent un peu moins mal.

Le café coule lentement, son riche arôme emplit la cuisine.

C’est pas vrai ! Voilà que sa nausée redouble. Pas normal ça !

Laura ne s'assoit jamais pour prendre son petit déjeuner. Elle reste chaque matin que Dieu fait, debout face à la fenêtre, les yeux fixés sur son petit bout de jardin et elle rêvasse. C'est son temps de vide à elle, un espace qui lui appartient en propre et qu’elle n’a jamais voulu partager.

D’où, pas de compagnon à demeure. Si ce n’est Sirop !

 Il lui reste un peu plus d’une demi-heure pour se préparer et il sera l’heure d’aller au bureau Elle doit trouver également la tenue vestimentaire dans laquelle elle se sentira en phase avec elle-même, c'est à dire suffisamment sexy pour qu'au moins un regard d'homme se pose sur elle, mais aussi, pour qu'au bureau, son rôle de DRH soit pris au sérieux.

 Un vertige la saisit tout à coup et elle s'assoit, effrayée par sa soudaineté ! Ses mains tremblent légèrement ainsi qu’une de ses jambes. L'angoisse monte, elle ne s'est jamais sentie aussi mal de toute sa vie entière, si ce n’est la fois où elle a été opérée, toute enfant, de l’appendicite.

Sa vue se brouille, elle ne va tout de même pas s'évanouir !

Respire ma vieille, inspire à fond, expire, inspire… N’oublie pas, pour une fois, les conseils de ta mère.

Au bout de quelques interminables secondes, Laura ressent un léger mieux-être. Elle se lève avec précaution, chancelle légèrement et avance à petits pas prudents jusqu'à la salle de bains. Le miroir est loin d'être clément ce matin et ce n'est pas uniquement parce qu'elle a 55 ans.

Tout le monde lui a dit qu’on commençait à vivre à 50 ans. Et ce n’est pas tombé dans l’oreille d’une sourde. Sauf que ce matin, elle a l’impression d’avoir cent ans !

Laura est encore une belle femme. Elle est svelte et séduisante, tous ses amis s'accordent pour le dire ; et ma foi, en règle générale, elle trouve que c'est plutôt vrai. Cerise sur le gâteau, elle jouit d'une santé de fer.

Enfin, jusqu’à maintenant.

Sa main droite vient prudemment toucher son visage, elle ne se ressemble plus. Ses traits sont tirés, creusés même ! Ce n'est pas uniquement la conséquence de mes excès, se dit-elle ! Je suis malade, je couve quelque chose.

Mais, ce n’est pas possible ! Je ne suis jamais malade.

« Il y a un début à tout, » lui dirait, vertueusement, sa mère.

Oiseau de mauvais augure, pense-t-elle !

Tout à fait le genre de remarques qu'elle sait si bien faire et qui la déstabilise à chaque fois. Elle a l’art de la dévalorisation, sa mère, elle l’a toujours pratiqué hélas, et longtemps avec succès auprès de Laura.

Celle-ci se déshabille et s'apprête à rentrer dans la douche à l’italienne, mais elle évalue mal la distance et se cogne violemment le pied gauche dans l’encadrement. La douleur la fait hurler, elle recule et se positionne devant le lavabo, elle veut se passer un peu d'eau fraiche sur le visage.

Tout à coup, elle a l’impression de ne plus y voir clair et sent son cœur s'emballe. Elle ne voit plus que d'un œil, mais s’aperçoit néanmoins que sa bouche est toute tordue. Ce qui lui fait une tête monstrueuse.

C’est quoi ça, veut-elle crier ! Mais les mots ne sortent pas, elle ne parvient pas à les prononcer.

Et Laura tombe.

Au secours ! Crie-t-elle, silencieusement. Je vais mourir ! Je suis seule et je vais mourir, seule, comme une bête.

Elle sent alors quelque chose de doux sur son visage et entrevoit la petite tête de Sirop qui semble avoir compris qu'il se passe quelque chose d'inhabituel. Il se frotte contre elle et miaule plaintivement.

Sirop, crie-t-elle en silence ! Sirop ! Aide-moi !

Mais Sirop n'est qu'un chat, n'est-ce-pas ?

Où est mon portable, il faut que j'appelle les Secours. Mon cerveau fonctionne encore, j’arrive à réfléchir, c'est bon signe.

Elle qui d’ordinaire, emporte son portable partout, même aux toilettes, ne se souvient même plus de l’endroit où elle l'a laissé.

A la cuisine, il est à la cuisine, à côté de la machine à café, elle en est sûre. Mais l’a-t-elle allumé ? Elle ne s’en souvient pas.

Ramper jusque là-bas, avancer, trouver ce foutu portable, appeler les urgences.

Je ne veux pas mourir !! Je ne veux pas mourir !

Laura ouvre la bouche, mais rien n’en sort. Elle rampe, se traîne. La cuisine lui semble hors de portée. Jamais elle n’y parviendra à temps, elle vient de le comprendre. Elle est fichue ! Elle va agoniser seule dans sa maison et on ne trouvera son cadavre que dans plusieurs jours.

Le réveil sonne dans la jolie chambre de Laura et cette dernière s'éveille dans un cri d’effroi, repoussant machinalement la revue qu'elle lisait la veille au soir avant de s'endormir. Elle est restée ouverte sur un article détaillant les symptômes de l'accident vasculaire cérébral.

Quel horrible cauchemar, pense-t-elle, ça m’apprendra à lire ce genre d’article avant de dormir.

Elle se lève, folle de joie d'être en vie et en pleine forme. Pas le plus petit début de migraine, ni de sensation de vertige, malgré les agapes des derniers jours. Elle tient toujours la route.

Yes !

Sirop l'attend, impatient qu'elle lui serve sa première ration de croquettes et sa douce fourrure gris cendré vient lui caresser la jambe.

Ils descendent tous les deux en cette belle matinée de septembre, alors que pour quelques jours encore, c’est l’été sur le calendrier.

Il y a dans l’air une légère aura automnale, juste de quoi faire frémir les cœurs sensibles et réceptifs au plus petit changement d’atmosphère.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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I
<br /> <br /> bravo ! tu as bien fait de t'y remettre et nous donner des frissons.<br /> <br /> <br /> ce soir, c'est promis, je ne lis pas le larousse médical. Plutôt un bon polar, ou une histoire de serial killer... <br /> <br /> <br /> <br />
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F
<br /> <br /> waouuuu quel talent de conteuse ma Belle j'adore ...<br /> <br /> <br /> <br />
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